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L’intervention professionnelle face à l’usage de l’intelligence artificielle par la partie non représentée

Par Mes Judith Guérin et Aurélie Lompré

L’opacité technologique liée à l’utilisation non divulguée de l’intelligence artificielle générative (ci-après «  IAG  ») par des parties non représentées pose de nouveaux défis aux membres du Barreau du Québec, tant en cours de mandat qu’en salle d’audience.

Les juristes sont confrontés à du contenu potentiellement incorrect, inopportun ou fictif, à savoir des hallucinations, susceptibles de compromettre la qualité des débats et l’intégrité du système judiciaire. Cette situation soulève des enjeux particuliers en tant qu’officier de justice  : comment concilier vos devoirs envers la clientèle, la partie adverse et le tribunal, tout en respectant les limites de votre rôle?

Bien que l’IAG connaisse un essor important, vos responsabilités ainsi que vos obligations éthiques et déontologiques demeurent inchangées. Ce texte explore certains principes d’application spécifiquement adaptés au contexte technologique afin de prévenir les reproches en responsabilité professionnelle et d’exercer pleinement votre rôle de leader collaboratif.

Comment détecter l’usage de l’IAG?

Bien que l’exercice puisse sembler ardu, une grille de vérification interne peut aider à repérer certains indices, tels que  :

  • émoticônes,
  • propos vagues, généraux ou stéréotypés, sans nuances factuelles ou contextuelles,
  • références inexistantes, non crédibles ou non traçables,
  • incohérences stylistiques (par exemple, un courriel contenant des fautes d’orthographe suivi d’une procédure sans erreurs de rédaction).

Pris isolément ou cumulés, ces signes permettent de soupçonner un apport de l’IAG dans les documents communiqués par la partie non représentée.

Vous pouvez poser des questions à la partie adverse et lui demander de fournir les références précises au soutien de ses arguments. Exercez ensuite votre jugement professionnel afin de déterminer si ces sources soutiennent véritablement les arguments présentés ou si elles s’avèrent erronées.

Sans vous fier uniquement aux réponses fournies par la partie adverse, réalisez votre propre analyse en appliquant les méthodes de recherche juridiques appropriées. Cette démarche permet d’identifier les forces, faiblesses et incohérences des positions en jeu.

Dans certains cas, par exemple la fabrication de la preuve, il peut être pertinent d’envisager le recours à une expertise, avec l’accord de votre client ou cliente. 

Voyons maintenant comment gérer concrètement les risques d’erreur auprès de la clientèle, de la partie non représentée et du tribunal  : 

  • Éclairer la clientèle sur la situation 

Dès le début du mandat, il importe de communiquer de manière claire et structurée avec la clientèle en exposant les particularités du dossier impliquant une partie non représentée, ce qui inclut désormais les risques d’hallucinations pouvant découler de son utilisation de l’IAG.

Afin de renforcer la valeur de vos services et de préserver la confiance mutuelle, précisez que vous n’émettrez aucune opinion juridique à la partie adverse et que vos interventions demeureront limitées à des aspects strictement procéduraux. Soulignez également que vous exercerez une vigilance particulière à l’égard des erreurs de droit commises par la partie adverse et qu’elles seront portées à l’attention du tribunal, le cas échéant.

Ces explications devraient idéalement être consignées par écrit, en plus de prévoir l’étendue de vos services ainsi que les modalités financières dans une convention de mandat et d’honoraires

  • Informer la partie non représentée 

Pour éviter toute ambiguïté quant à votre rôle, il convient de préciser par écrit à la partie adverse que vous représentez uniquement les intérêts de votre client ou de votre cliente, que vous ne fournirez aucun conseil juridique, que vous lui recommandez fortement de consulter un avocat ou une avocate de son choix et qu’il existe des ressources d’accès à la justice, par exemple les cliniques juridiques, les centres de justice de proximité, les guides Comment se préparer pour la cour de la Fondation du Barreau du Québec ainsi que Justice Pro Bono.

De plus, veillez à informer la partie non représentée qu’elle doit s’appuyer exclusivement sur des sources fiables telles les sites web officiels des tribunaux ou des services publics et les éditeurs commerciaux ou banques de données reconnus (notamment CanLII et SOQUIJ), et ce, conformément aux avis déjà formulés par les tribunaux en matière d’IAG.

  • Signaler les erreurs au tribunal 

En plus de vos autres devoirs, vous demeurez un auxiliaire de justice et vous devez collaborer à son administration.

Ainsi, lorsque le contenu soumis par la partie non représentée contient des anomalies manifestes, par exemple des décisions inexistantes ou mal citées, des références fictives ou des raisonnements incohérents avec le droit en vigueur, il vous incombe de porter à l’attention du tribunal, en temps opportun, ce qui paraît douteux ou illogique.

Cela s’inscrit dans votre obligation déontologique de ne pas induire ou tenter d’induire le tribunal en erreur.

En appliquant ces principes, vous contribuez à une culture favorisant la qualité de la justice et vous agissez de manière préventive afin de réduire les risques de réclamation et de poursuite en responsabilité professionnelle.

Pour approfondir cette réflexion et renforcer votre pratique du droit, l’édition d’octobre 2025 du bulletin Praeventio propose des articles complémentaires sur le thème de l’intelligence artificielle générative. Le Guide pratique du Barreau du Québec pour une utilisation responsable de l’intelligence artificielle demeure, en outre, une référence incontournable.



Source

Bulletin Praeventio, octobre 2025, Fonds d’assurance responsabilité professionnelle du Barreau du Québec