Dossiers dimanche 13 février 2022
La réforme du droit de la copropriété : mieux encadrer la gestion des immeubles vieillissants
Par Johanne Landry
Légiférer afin que les conseils d’administration gèrent les actifs immobiliers avec rigueur et regagnent la confiance des assureurs : voilà le fil conducteur de la réforme du droit de la copropriété. Me Yves Joli-Cœur fait le point sur les défis importants qui subsistent dans ce domaine.
En 2018, le législateur entamait d’importantes réformes en ce qui a trait à la section du Code civil du Québec traitant de copropriété. « On abordait un changement de philosophie axé davantage sur la prévention, cela après une période de 25 ans que j’appelle « la belle au bois dormant ». Alors que partout, dans le monde occidental, on observait une évolution dans le domaine de la copropriété, le Québec prenait du retard », dit Me Yves Joli-Cœur, Ad. E., qui est le secrétaire général du Regroupement des gestionnaires et copropriétaires du Québec (RGCQ).
L’une des particularités du droit de la copropriété au Québec, fait-il remarquer, c’est qu’il relève de trois ministères. Société distincte, le Québec est le seul endroit en Amérique du Nord où on ne retrouve pas de loi particulière sur la copropriété. Ainsi, son encadrement est enchâssé dans le Code civil du Québec, qui se trouve sous la responsabilité du ministère de la Justice. En ce qui a trait aux assurances particulières en matière de copropriété, celles-ci se retrouvent sous la responsabilité du ministère des Finances. Enfin, plusieurs questions relèvent aussi du ministère des Affaires municipales et de l’Habitation. « Lorsqu’on travaille sur des textes de lois ou de règlements en matière de copropriété, il faut cogner à trois portes différentes, ce qui complexifie l’évolution législative », explique Me Joli-Coeur.
Toujours en attente d’une règlementation nécessaire
L’obligation pour les syndicats de copropriété de faire réaliser une étude du fonds de prévoyance ainsi que celle d’établir un carnet d’entretien constituent les deux points majeurs du projet de loi 16 adopté en décembre 2019. « Or, souligne Me Joli-Cœur, pour entrer en vigueur, ces obligations doivent faire l’objet d’un règlement qui, pour le moment, n’a pas été adopté. » Avec un parc immobilier dont la moyenne d’âge est de 31 ans, le vieillissement des édifices pose des enjeux majeurs, alors que plusieurs ne sont pas adéquatement entretenus. D’où une perte de confiance des assureurs qui sont de moins en moins nombreux à accepter de couvrir les risques d’immeubles en copropriété. « Si les dispositions législatives entraient rapidement en vigueur, on pourrait éventuellement restaurer la confiance du monde de l’assurance. En contrepartie, ça mettra en lumière la sous-capitalisation des fonds de prévoyance », explique-t-il. « Le syndicat aura dix ans pour le mettre au niveau requis, ce qui se traduira évidemment par l’obligation, pour les copropriétaires, de contribuer de manière importante et sur une longue période, situation qui aura en bout de ligne un impact sur le marché de la revente. »
Controverse autour de l’article 1074.2
Les plus récentes modifications législatives ont accordé aux syndicats le droit de réclamer d’un copropriétaire fautif le remboursement de la franchise de l’assurance des parties communes. « L’article 1074.2 du Code civil du Québec a été modifié deux fois au cours des deux dernières années et le débat n’est toujours pas résolu », déplore Me Joli-Cœur, qui explique qu’une mauvaise interprétation de l’article par certaines compagnies les amène à refuser de payer la franchise du syndicat lorsqu’un sinistre qui survient dans une unité (souvent un dégât d’eau) endommage des parties communes et privatives. « Des refus qui peuvent occasionner de graves problèmes financiers pour le syndicat puisque c’est l’ensemble des copropriétaires qui devra payer. Faire la démonstration qu’une faute a été commise par un copropriétaire nécessite d’entamer des procédures judiciaires, une démarche longue et fastidieuse pour les membres du syndicat de copropriétaires qui exercent cette fonction de façon bénévole. Il peut par ailleurs s’écouler plusieurs mois avant que la cause soit entendue et il n’est pas acquis que le syndicat obtiendra le remboursement complet de la franchise, explique-t-il. Une nouvelle réécriture de cet article s’impose afin de mettre un terme au refus des assureurs en responsabilité civile des copropriétaires de reconnaître et d’appliquer les clauses que l’on retrouve dans la majorité des déclarations de copropriétés. »
Ces syndicats de copropriété qu’on ne veut plus assurer
L’effondrement d’une tour au complexe Champlain à Surfside en Floride, en juin 2021, a été pour Me Joli-Cœur l’occasion de faire des recherches, alors que les médias ont sollicité son expertise pour parler de l’événement et des leçons que le Québec peut en tirer. « J’ai appris des choses passionnantes, notamment en lisant des articles du New York Times, à savoir que le plus gros assureur des copropriétés en Floride, c’est l’État lui-même parce que les assureurs refusent de le faire. L’effondrement de la tour, qui s’est ajouté aux tornades et autres catastrophes climatiques, a mis les assureurs en panique. Au Québec, nous sommes dans un marché où l’offre est limitée en ce qui concerne le nombre d’assureurs. Au cours de la dernière année, une dizaine de dossiers de syndicats de copropriété orphelins d’assurance sont arrivés sur mon bureau. »
Des copropriétaires mieux informés
Membre du comité consultatif qui a produit les rapports qui ont mené à la récente réforme du droit de la copropriété, Me Yves Joli-Cœur mentionne, parmi les problématiques qui ont mis en lumière les besoins de changements, l’obtention d’une information complète et fiable pour les acheteurs. Pour remédier à cet aspect, on a mis en place l’obligation pour le vendeur de remettre à l’acheteur une attestation du syndicat sur l’état de la copropriété, une mesure qui vient améliorer les choses. L’inspection complète des parties communes d’une copropriété étant trop onéreuse pour pouvoir être faite lors de chaque transaction, plusieurs y renonçaient et risquaient d’avoir par la suite de mauvaises surprises. « La volonté du gouvernement était d’améliorer la transparence au moment de l’acquisition d’une unité. C’est là une nécessité car plusieurs copropriétés sont mal gérées. On commence d’ailleurs à voir des mises en tutelle, précise Me Joli-Cœur, car un article permet maintenant au tribunal de le faire advenant le dysfonctionnement d’une copropriété. »
Les mesures en vigueur depuis 2019 et celles à venir sont nombreuses. On peut en prendre connaissance en consultant le document Le projet de loi 16 en un coup d’œil : Guide explicatif | RGCQ