Dossiers mardi 2 août 2022
Le projet d’une vie
Me Lida Sara Nouraie, Ad. E.
Par Marie-Hélène Paradis
Du haut de ses 5 ans, fascinée par le monde judiciaire, Me Lida Sara Nouraie disait vouloir être avocate et aider les gens. Dès le début de ses études en droit, elle a contribué à mettre sur pied le Projet Innocence Québec et à ainsi mettre de l’avant ses valeurs.
Lida Sara Nouraie vient d’une famille où l’aide à autrui représente une valeur importante, une valeur qu’elle a toujours elle-même placée au cœur de ses actions. « Je regardais des émissions de télé comme Matlock, et ça me fascinait. Ma sœur plus vieille me disait que je ferais une bonne avocate. Tu aimes argumenter et tu défends ton point de vue, me disait-elle. »
Elle a eu la piqûre du droit grâce à un de ses professeurs qui a partagé sa fougue et sa passion avec ses étudiants. En 2002, étudiante au baccalauréat à l’UQÀM, un reportage sur le cas de Roméo Phillion, dans lequel on parle du Projet Innocence à Toronto, l’interpelle. Intéressée, Me Nouraie entre en contact avec celui qui en est le responsable alors qu’il donnait une conférence au Osgoode Hall à l’Université York à Toronto. « Je m’y suis rendue avec trois autres étudiants passionnés. Les avocats du Projet Innocence nous ont expliqué qu’il cherchait de jeunes avocats québécois pouvant faire des causes en français et comme ils n’avaient pas de contact au Québec, ils nous ont demandé si nous étions intéressés. On s’est regardés et on a tout de suite su qu’on allait essayer de démarrer un tel projet chez nous. En revenant à Montréal, on en a parlé à nos professeurs à l’UQÀM. Ceux-ci nous ont soutenus et le projet a démarré comme ça », raconte Me Nouraie. Elle a obtenu l’écoute d’une avocate qui travaillait à l’aide juridique sur un dossier d’erreur judiciaire et celle-ci a accepté de chapeauter les étudiants. « On a donc commencé par des stages que les étudiants pouvaient faire auprès de cette avocate. Par la suite, c’est devenu un cours officiel. Ça fait maintenant 20 ans que le Projet Innocence Québec aide les gens. »
Dès le début de ses études en droit, Lida Sara Nouraie désirait être un acteur de changement. « On a un bon système de justice, mais le droit des humains n’est pas infaillible. Je pense qu’en reconnaissant que des erreurs peuvent arriver, on ne peut qu’améliorer le système. C’est comme ça qu’on progresse dans une société. »
D’après Me Nouraie, l’échange est aussi très intéressant pour les avocats qui font du bénévolat avec des étudiants motivés et curieux. « Ça fait en sorte qu’on retrouve la passion, la motivation et l’amour pour notre profession en même temps qu’on essaie de montrer aux jeunes la rigueur et l’éthique, ce qui produit des échanges fructueux et enrichissants. »
Une vie bien remplie
Maman de trois jeunes enfants, enseignante à l’UQÀM, avocate en droit criminel et pénal au sein du Cabinet Joncas, Nouraie, Roy, Massicotte, et cofondatrice, présidente et membre du conseil d’administration de Projet Innocence Québec, Me Nouraie est de plus impliquée auprès d’instances et de comités liés à la profession. C’est un euphémisme que d’affirmer qu’elle est occupée. « À l’intérieur d’un bureau d’avocats, la réalité d’être une femme est encore difficile. Il faut bien s’entourer et revoir la façon de travailler pour être en mesure de continuer à faire du pro bono, avoir des enfants et une pratique passionnante », déclare l’avocate.
Même si la conciliation travail-famille s’est améliorée, il faut faire des choix, comme celui que Lida Sara Nouraie a fait d’avoir ses enfants plus tard, lorsque sa pratique a été structurée et établie avec une équipe derrière elle. « On travaille en équipe, ce qui fait que le groupe d’avocats connaît tous les dossiers, que les clients se sentent en sécurité et que les collègues savent qu’ils peuvent nous joindre en tout temps. Les jeunes femmes à qui j’enseigne à l’UQÀM me posent parfois des questions sur la conciliation travail-famille. Je leur réponds que le secret consiste, essentiellement, à bien s’entourer d’autres avocats avec des intérêts communs. L’organisation est la clé du succès et la passion de notre profession rend toutes les embuches surmontables. »
Le Projet Innocence Québec
Trois avocats forment le noyau du Projet Innocence Québec mais chaque année, des anciens étudiants en droit s’impliquent et chapeautent à leur tour les étudiants qui les assistent. « J’ai cette vision d’une collaboration entre les différentes universités qui ont un Projet Innocence et j’aimerais éventuellement centraliser tout ça pour que plusieurs universités travaillent ensemble, » nous confie Me Nouraie.
Le fonctionnement du Projet Innocence Québec est relativement simple dans sa définition, mais complexe dans son application. Les personnes elles-mêmes, les proches de ces personnes ou des organisations peuvent faire une demande pour qu’on les aide à prouver leur innocence. Les critères d’acceptation d’un projet sont précis et rigoureux et il faut avoir épuisé les recours d’appel. L’élément essentiel est de prouver qu’il y a un fait nouveau, un fait que l’on ne connaissait pas au moment du procès et qui peut avoir un impact sur le verdict ou l’équité du procès. C’est tout d’abord un travail de triage pour s’assurer que le dossier répond aux critères.
Si l’équipe de Projet Innocence trouve ce fait nouveau et qu’elle décide d’adopter le dossier, tout va être fait pour apporter celui-ci jusqu’au ministre fédéral de la Justice. À partir de ce moment, c’est un énorme travail de récupération de toute la preuve qui débute. Les dossiers datent et, quelque fois, la période de rétention des dossiers par les avocats est terminée, ce qui rend le travail plus difficile. La suite étant l’analyse de toutes les procédures, il leur faut souvent faire affaire avec des experts et des enquêteurs, retrouver des témoins, pour ensuite procéder à la rédaction d’un mémoire au ministre de la Justice. « C’est un travail de moine, un casse-tête que tu refais, il faut être minutieux. Cela amène des problèmes financiers pour nos clients, qui n’ont souvent pas les moyens de payer les frais des enquêteurs et des spécialistes et qui n’ont pas nécessairement accès à l’aide juridique. Il y a plein de dossiers pour lesquels nous avons défrayé les coûts pour essayer de faire avancer les choses. Je n’ai malheureusement pas le temps de me consacrer au développement du financement. Les quelques dons que nous avons reçus ont été utiles, mais il nous faudrait trouver plus de donateurs pour mener à bien davantage de dossiers. »
Les résultats
Il est difficile de parler de taux de réussite car, ainsi que Me Nouraie le confie, les dossiers avancent très lentement. « Par exemple, un dossier relativement simple a été soumis au ministre il y a plus de cinq ans et nous sommes en attente d’une décision finale de sa part. Un autre dossier soumis au ministre il y a deux ans est présentement à l’étape de l’enquête. Nous avons aussi exercé des recours à la Cour fédérale avec gain de cause dans deux dossiers qui ont été réacheminés au ministre pour examen. »
Le Groupe de la révision des condamnations criminelles (GRCC), à Ottawa, reçoit les demandes, lit les mémoires et évalue les dossiers en quatre étapes : la première vise à filtrer les demandes selon les critères, la deuxième représente l’enquête, la troisième est la formulation de la recommandation, qui est suivie, en quatrième étape, de la décision du ministre. Il est important de préciser que le ministre ne peut acquitter la personne. Il a plutôt le choix de renvoyer le dossier à la Cour d’appel ou d’ordonner un nouveau procès.
« Malgré les délais et les difficultés, nous savons que nous pouvons faire une différence, faire œuvre utile, et cela en vaut la peine », conclut Me Nouraie.