Articles mardi 24 août 2021
Moderniser le système de justice : un enjeu incontournable
Par Emmanuelle Gril
Le débat entourant la modernisation du système de justice ne date pas d’hier, et cela fait déjà quelques années que les acteurs du milieu planchent sur la question. Or, la pandémie pourrait bien donner un coup d’accélérateur à ce processus de longue haleine.
« La réalité de la relation entre technologie et monde juridique est malheureusement désolante. Le système de justice québécois croule sous une montagne de papiers et, de manière générale, les équipements et les infrastructures ne répondent pas aux exigences du nouveau millénaire », déplorait le Barreau du Québec en février 2018, dans un rapport sans concessions.
Pour sa part, l’ancienne ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, avait fait le même constat : « Notre justice a été dépassée par les technologies avec des pratiques qui ont été héritées des siècles derniers. La justice au Québec est devenue malheureusement plus lente et plus lourde. », avait-elle déclaré la même année. Quant aux palais de justice, ils ont été qualifiés à maintes reprises de véritables « hangars à papier » issus d’un autre âge…
C’est pourquoi le gouvernement a débloqué en 2018 une enveloppe de 500 millions $ sur une période de cinq ans, un investissement destiné à faire entrer la justice dans le 21e siècle et à entamer un virage technologique. Mais que signifie moderniser la justice? Deux avocats se prononcent sur la question.
La pandémie : un accélérateur
Lorsqu’on lui demande pourquoi il faut dépoussiérer le système judiciaire, Me Julien Beaulieu, vice-président du Conseil d’administration du Barreau du Québec, répond sans détour. « Pour reprendre les mots de Justin Trudeau : « parce qu’on est en 2021! ». Non seulement les technologies ont évolué, mais les mentalités aussi. D’ailleurs, on ne peut pas s’attendre à ce que le fonctionnement du système de justice s’améliore si on continue de le gérer de la même manière. Dans une société moderne, l’administration de la justice doit elle aussi être modernisée », assure-t-il.
Pour sa part, Me Audrey Gagnon, administratrice pour la région de Québec au Barreau du Québec récemment réélue pour un second mandat, indique que la modernisation du système doit être considérée comme un pas vers un meilleur accès à la justice. « Les deux concepts sont intimement liés. Pour que la justice soit plus accessible, cela passe non seulement par les moyens technologiques, mais aussi par la façon de voir le système de justice », affirme-t-elle.
D’ores et déjà, les sommes débloquées par Québec ont permis d’accomplir des avancées notables. Me Audrey Gagnon cite en exemple le projet LEXIUS, vaste plan de transformation numérique de la justice qui va bon train. Le projet vise la dématérialisation de tous les dossiers judiciaires en débutant par le dépôt numérique de toutes les procédures et demandes d’ici 2023.
Elle mentionne également les autres chantiers lancés dans le cadre du plan d’action adopté l’an dernier par la Table Justice-Québec, entité de concertation réunissant les principaux acteurs du milieu judiciaire. « Plusieurs réflexions sont en cours, que ce soit au niveau strictement procédural – comment être plus efficace dans la gestion de certaines procédures, mais aussi sur la façon dont on traite les dossiers ou encore au niveau de la tenue des procès », dit-elle.
Me Julien Beaulieu souligne d’ailleurs que la pandémie a élargi le processus de réflexion. « Par exemple, il a fallu avoir recours aux témoignages par visioconférence, ce qui nous a permis de prendre conscience de leurs atouts et leurs inconvénients. Forts de ces connaissances et de cette expérience, nous serons plus à même d’optimiser nos processus », dit-il. Il ajoute qu’il est également essentiel de se libérer du papier et d’accélérer la numérisation des documents, ce qui aura assurément un impact déterminant sur l’amélioration de l’accessibilité à la justice.
La crise sanitaire a également forcé le système de justice et ses acteurs à s’adapter, estime Me Gagnon. « L’être humain étant ce qu’il est, tant que nous ne sommes pas obligés d’opérer des changements, nous essayons de les éviter. Or, la pandémie ne nous a pas laissé le choix. Désormais, je crois que nous allons pouvoir retenir le meilleur de cette évolution virtuelle rapide et de ces nouveaux outils technologiques », dit-elle. Me Gagnon fait un parallèle avec la télémédecine. « Elle a rendu la médecine plus accessible aux patients, ce sera un peu la même chose avec la justice », fait-elle valoir.
Une expérience positive
Les deux avocats soulignent que globalement, leur expérience virtuelle durant la pandémie a été positive. « Une fois la période d’adaptation passée, nous avons découvert de nombreux avantages. Au civil par exemple, domaine de droit dans lequel j’exerce, tout ce qui concerne les interrogatoires préalables à distance peut améliorer considérablement l’efficacité de leur tenue, en plus de diminuer les coûts pour les clients et les pertes de temps pour les avocats. Le virtuel permet de fixer plus facilement les interrogatoires puisque personne n’a besoin de se déplacer. Il en va parfois de même pour les audiences sans témoins », illustre Me Audrey Gagnon.
« Au début, nous ne savions pas trop à quoi nous attendre parce que nous sommes habitués à une façon de faire en présentiel. Il y avait un peu d’appréhension de notre côté, mais nous avons rapidement constaté que cette crainte n’était pas fondée », relate Me Julien Beaulieu. Selon lui, le virtuel est particulièrement pertinent lorsqu’il s’agit d’audiences uniquement entre avocats. « Cela constitue aussi une économie notable pour le client. Il n’a pas à payer d’honoraires parce que son avocat doit se rendre au palais de justice pour une rencontre qui ne durera parfois que quelques minutes. En lui évitant les déplacements pour des procédures simples qui s’effectuent entre juristes, on permet aussi à l’avocat d’optimiser son temps », dit-il. Même chose pour les témoignages qui sont uniquement nécessaires à l’administration de la preuve, puisque la visioconférence évite les déplacements.
On ne peut pas être contre la vertu, insiste-t-il. « Le recours aux nouvelles technologies a débouché sur plusieurs améliorations et donne aussi aux avocats plus de latitude pour travailler sur leurs dossiers et mieux concilier travail et vie personnelle », fait-il valoir.
« De cette façon, on peut se consacrer à des tâches qui ont une plus grande valeur ajoutée. Cela vient aussi faciliter l’accès à la justice, dans le sens où un système modernisé, plus proche de la technologie, génère des économies en terme de temps pour l’avocat et en honoraires pour le justiciable », assure-t-elle. Tout cela contribue à améliorer la perception du public vis-à-vis le système judiciaire et, par le fait même, sur le rôle de l’avocat au sein de celui-ci.