Articles lundi 26 septembre 2022
Une discussion sur l’avenir et l’évolution des avocates
Femmes dans la profession : relever le défi de la rétention
Par Marie-Hélène Paradis
Le 20 septembre 2022, les avocates étaient conviées à une table ronde organisée par le Barreau du Québec, en collaboration avec l’Association du Barreau canadien (ABC), Division Québec, et le chapitre canadien de l’Association internationale des femmes juges. La discussion portait sur plusieurs sujets d’intérêt touchant l’intégration, la rétention et la progression professionnelle des femmes dans la profession.
Cette table ronde qui réunissait des panélistes de renom, était animée à Montréal par la bâtonnière, Me Catherine Claveau et, simultanément à Québec, par Me Audrey Gagnon. L’événement était également accessible en webdiffusion. Les participantes à cette table ronde à Montréal étaient : l’honorable Sophie Bourque, juge à la Cour criminelle de la Cour supérieure du district de Montréal, membre du chapitre canadien de l’Association internationale des femmes juges, anciennement présidente du Comité sur les femmes dans la profession du Barreau du Québec et membre du comité auteur du rapport Les assises sur l’égalité des sexes dans la profession juridique de l’Association du Barreau canadien, Me France Houle, doyenne de la Faculté de droit de l’Université de Montréal, Me Patricia Fourcand, nouvellement associée directrice du cabinet Fourcand, Tremblay, Kissel, Plante et membre fondatrice du chapitre québécois de l’Association canadienne des avocats noirs, et enfin Me Suzie Lanthier, associée chez Gowling WLG et présidente du Forum des femmes juristes de l’ABC-Québec. Les participantes à la table ronde à Québec étaient : Me Audrey Gagnon, associée chez Fasken et membre du Conseil d’administration du Barreau du Québec, Me Anne-Marie Laflamme, doyenne de la Faculté de droit de l’Université Laval, Me Céline Plante, avocate associée et directrice du bureau de Québec chez Therrien, Couture, Joli-Cœur et membre du Comité sur les femmes dans la profession du Barreau du Québec et l’honorable Alicia Soldevila, juge à la Cour supérieure.
L’enseignement du droit et le rôle des facultés
Les préoccupations quant à la place des femmes dans la profession sont nombreuses et perceptibles dès le début des études en droit. D’entrée de jeu, Me Catherine Claveau, bâtonnière du Québec, demande à Me France Houle si les étudiantes en droit sont conscientisées sur les enjeux d’égalité et sur le rôle que peut jouer la faculté pour améliorer la question de l’égalité dans la profession. Me Houle répond en communiquant des données chiffrées qui démontrent bien la situation des femmes à l’Université de Montréal et à l’Université Laval. Majoritaires en nombre lors de l’inscription dans les facultés, dans une proportion de 72 % à l’Université de Montréal et de 75 % à l’Université Laval, les femmes se maintiennent dans leur représentativité au niveau de la maîtrise, à raison de 75 % à l’Université de Montréal et 75 % à l’Université Laval. C’est cependant au doctorat que les taux d’inscription fléchissent, pour devenir 45 % à l’Université de Montréal et 42 % à l’Université Laval. Il faut certainement se demander, selon Me Houle, quelle est la raison expliquant cette baisse importante. Par ailleurs, on remarque que les femmes sont plus nombreuses, soit de l’ordre de 80 %, à opter pour un stage en milieu communautaire.
En ce qui concerne les moyens que la faculté pourrait utiliser pour augmenter la conscientisation des femmes, Me Houle suggère d’intégrer des cours sur le droit des femmes au baccalauréat et à la maîtrise et un cours sur le droit à l’égalité.
À l’Université de Montréal, les activités extra curriculaires sont nombreuses, telles les soirées de discussion sur la manière d’affronter le « mansplaining » ou pour apprendre à négocier ses conditions de travail. Les activités informelles sont aussi au programme pour valoriser, reconnaître, commanditer et parler des valeurs des femmes en tant que valeurs de la faculté. Depuis qu’elle occupe le poste de doyenne, France Houle soumet des dossiers favorisant la candidature de femmes à des prix prestigieux, a constitué un mur de reconnaissance visant à mettre en lumière les pionnières et encourager les jeunes à poursuivre et se fait un point d’honneur de recommander des candidates pour siéger au sein de comités importants. Enfin, elle ne tolère évidemment aucune forme de violence.
L’importance de la parité
Dans un deuxième temps, la bâtonnière Claveau introduit la notion et l’importance de la parité. Malgré une présence des femmes importante dans la profession, à hauteur de 55 %, seulement 35 % des avocates exercent en pratique privée contre 52 % d’hommes. Les avocates exercent plutôt au sein de contentieux d’organisations publiques et parapubliques, à hauteur de 28 % contre 17 % pour les avocats. Selon Me Suzie Lanthier, il faut déceler en cela le symptôme d’une problématique plus grande, qui s’étend aux instances décisionnelles où on ne retrouve pas beaucoup de femmes. Me Patricia Fourcand ajoute que tant qu’on ne retrouvera pas plus de femmes dans les hautes sphères du pouvoir, le statu quo persistera et la situation continuera d’affecter les jeunes avocates. La culture des cabinets doit changer, soutient-elle, et pour obtenir cette nécessaire transformation, la parité doit être atteinte dans les postes décisionnels, sans quoi rien n'évoluera. Me Fourcand illustre ses propos en faisant allusion à la difficulté de se faire entendre autour d’une table quand on est la seule femme.
L’accessibilité des postes décisionnels
Plusieurs réflexions et commentaires émergent quant aux raisons pour lesquelles les femmes sont moins présentes dans les postes décisionnels : on évoque notamment la pression mise sur les heures facturables et le fait que les femmes seraient moins actives en matière de développement de la clientèle, qui est la source de la capacité à accéder aux postes de pouvoir. La maternité, selon Me Lanthier, est aussi l’une des raisons pour lesquelles il y a moins de femmes associées, et ce, en plus du critère d’admission basé sur les heures facturables. L’honorable Sophie Bourque ajoute que le fait qu’on retrouve moins de femmes dans les postes de pouvoir dans les grandes entreprises ne favorise pas les contacts essentiels à la « business ».
L’exode des femmes
C’est un fait : les femmes prennent leur retraite plus tôt, à 53 ans, alors que les hommes quittent la profession à 63 ans. Les conditions de travail, la charge mentale, la conciliation travail-famille, les heures facturables, l’écart salarial, le manque de reconnaissance et le fait que les femmes se définissent moins par leur carrière uniquement sont des éléments clés de leur exode prématuré, même si elles sont plus performantes dans le domaine académique.
Les nominations
Il y a plusieurs années, il fallait se battre pour que les femmes aient accès à la magistrature. Aujourd’hui, on constate qu’il y a eu un réel progrès à cet égard et ce, un peu grâce à la volonté politique. Plusieurs cours de justice sont maintenant dirigées par des femmes, ce qui représente un exemple encourageant pour les jeunes avocates. Il faut toutefois faire attention à ne pas baisser la garde, car les acquis ne sont jamais définitifs. Il n’y a que l’égalité réelle qui peut maintenir les acquis.
L’écart salarial
L’écart salarial existe, on le sait, mais le manque de transparence des cabinets quand il est question de dévoiler les salaires des avocats et des avocates ne permet pas de connaître l’étendue des dégâts. Encore une fois, les causes sont nombreuses, selon Me Suzie Lanthier. La pénalisation de la maternité, les attributions de dossiers non équitables et la non-rémunération du « travail rose » ne sont que quelques éléments qui contribuent à cet écart, visible dès le début de la carrière et encore plus quand on parvient au statut d’associée. Cela étant dit, il faut identifier ces écarts si on veut les réduire.
La fameuse conciliation travail-famille
La conciliation travail-famille est encore l’apanage des femmes. Il faut être conscient qu’il ne s’agit pas de la même chose que la conciliation travail-vie personnelle et que l’enjeu n’est pas le même. En effet, c’est encore une fois une question de discrimination. Il ne faut pas sous-estimer la valeur des mots : à l’instar de l’égalité et la parité, la famille et la vie personnelle ne veulent pas dire la même chose et ne correspondent pas à un même concept.
Le télétravail
Depuis l’arrivée de la pandémie, le télétravail est devenu la nouvelle réalité du travail. Celui-ci demande toutefois à être encadré, et les conditions du télétravail et surtout celles du retour au bureau doivent être les mêmes pour les avocates et les avocats. Il est évident qu’une personne qui est très souvent présente au bureau et qui se fait voir par les dirigeants multiplie ses chances qu’on pense à elle pour les dossiers importants.
En conclusion, les avocates doivent encore faire face à plusieurs enjeux, et ce, dès le début de leurs études, puis au long de leur carrière. Il est évident que la parité est le minimum à atteindre dans toutes les sphères de la profession et que seule l’égalité permettra de faire basculer les relations de pouvoir.
Les groupes de discussion
En seconde partie de la rencontre, la formule des échanges est modifiée et 14 sous-groupes sont formés, 5 à Montréal, 3 à Québec et 6 en webdiffusion, chacun ayant un thème spécifique de discussion. Les cinq thèmes sont :
- Rétention et représentation
Quelles sont les raisons de la sous-représentation des femmes dans certains domaines du droit et quelles seraient les solutions possibles pour rendre certains types de pratique plus attirants pour les femmes? - Équité salariale et progression professionnelle incluant l’accès à la magistrature
Alors que les femmes ont encore des revenus moins élevés que leurs confrères masculins, quelles sont les pratiques de rémunération équitable? Qu’est-ce qui explique la faible proportion des femmes avocates associées malgré leur grand nombre dans la profession? Est-ce que les femmes rencontrent encore des obstacles pour accéder à la magistrature? Quelles sont les bonnes pratiques tenant compte de la réalité des femmes pour une progression professionnelle motivante? - Conciliation travail-vie personnelle : congés parentaux, soins aux enfants et aux parents âgés
Les femmes sont-elles encore pénalisées parce qu’elles partent durant de longs congés parentaux? Est-ce que les pères utilisent davantage leur congé parental? Est-ce que le télétravail a des répercussions durables sur la conciliation travail-vie personnelle des avocates? Les enjeux de soins aux parents âgés sont-ils reconnus? Plusieurs questionnements qui nécessitent une réflexion sérieuse pour trouver des solutions pérennes. - Harcèlement et discrimination
Depuis 2018, tous les employeurs doivent avoir une politique de prévention et de lutte contre le harcèlement en vertu de la Loi sur les normes du travail, et le Code de déontologie des avocats prévoit une interdiction spécifique d’exercer du harcèlement ou de la discrimination. Est-ce suffisamment connu? Est-ce que les témoins ont un rôle à jouer et les hommes ont-ils eux aussi un rôle à jouer en vue de prévenir et enrayer le harcèlement, notamment sexuel? - Horaires de travail flexibles et télétravail
Le télétravail est-il possible dans vos cabinets et si oui, est-ce que les enjeux des femmes ont été pris en compte dans les pratiques adoptées? La perte de visibilité auprès des mentors ou des collègues est-elle un inconvénient quand vient le temps d’obtenir des mandats? Le télétravail a-t-il aidé à réduire le harcèlement ou la discrimination dans vos interactions avec les collègues?
La table est mise pour poursuivre la réflexion afin d’atteindre une réelle égalité entre les hommes et les femmes et faire éclater, une fois pour toutes, le plafond de verre. Les suivis apportés à la suite de la consultation seront diffusés dans les prochains mois.