Articles mardi 20 septembre 2022
La justice s’invite dans de la campagne électorale
Un débat pour faire connaître les positions des partis politiques en lice
Fidèle à la tradition, le Barreau du Québec a organisé, en partenariat avec les jeunes barreaux, un débat entre les représentants des partis politiques en lice dans la campagne électorale provinciale. La rencontre avait pour objectif de mettre en lumière ce qui est prévu, dans les programmes des différents partis, à l’égard de certains aspects de la justice.
Pour le Barreau, les besoins de plus en plus criants observés dans le système de justice et les appels à l’action des différents acteurs du milieu juridique sont autant de signaux indicateurs d’une crise de confiance majeure qui se dresse envers les institutions judiciaires québécoises. Les questions posées aux candidats politiques ciblent certains de ces problèmes critiques vécus actuellement, et visent à comprendre les positions de leurs partis respectifs en ce qui concerne ces enjeux importants.
Le débat sur la justice était animé par Stéphanie Grammond, éditorialiste en chef et responsable de la section Débats au quotidien La Presse.
Les représentants des différents partis étaient : Me Simon Jolin-Barrette, candidat dans Borduas pour le Parti Coalition Avenir Québec (CAQ), Me Jean-Félix Racicot, candidat dans Borduas pour le Parti conservateur du Québec (PCQ), Me André A. Morin, candidat dans Acadie pour le Parti libéral du Québec (PLQ), Me Guillaume Cliche-Rivard, candidat dans St-Henri - Ste-Anne pour Québec solidaire (QS), et Me Cédric Gagnon-Ducharme, candidat dans Verchères pour le Parti Québécois (PQ).
D’entrée de jeu, Me Mathieu Jacques, président sortant du Jeune Barreau de Montréal a tenu à préciser l’importance de cet exercice. « La justice est un élément central pour le bon fonctionnement d’une société démocratique mais trop souvent, les enjeux en matière de justice sont relayés au second rang durant les campagnes électorales. »
L’accès à la justice
Le premier bloc de questions était consacré à l’accès à la justice, une préoccupation majeure pour les barreaux, notamment en matière de justice dans le Nord. Les enjeux sont connus : pénurie de juges au Nunavik, manque de soutien dans la prise en charge de certains services par les Autochtones en matière de protection de la jeunesse, locaux inadéquats ou manque de locaux pour la Cour itinérante, manque d’interprètes judiciaires, etc. Le ministère de la Justice a publié récemment le Rapport sur la situation de la Cour itinérante au Nunavik, rédigé par Me Jean-Claude Latraverse. Celui-ci met de l’avant les différentes problématiques et propose soixante recommandations pour améliorer les délais et les conditions des séances de la Cour itinérante et pour favoriser l’inclusion des modes traditionnels inuit de résolution de conflits.
Accès à la justice et justice dans le Nord
La première ronde de questions concernait les suites à donner à ce rapport et les délais que chaque parti prévoyait pour leur application. Tous ont reconnu l’importance de l’enjeu de la justice dans le Nord et se sont dit d’accord avec la demande du Barreau du Québec de mettre en œuvre un plan d’action en matière de justice et de procéder rapidement à des investissements majeurs. Ils ont souligné par ailleurs l’importance de ramener les services dans le Nord, que ce soit en ayant une magistrature permanente, comme le souligne Me Simon Jolin-Barrette, ou en construisant un palais de justice à Kuujjuaq, comme le revendique Me André A. Morin, tout cela en maintenant une justice de proximité portant respect aux traditions des communautés du Nord, ainsi que le mentionnent Me Guillaume Cliche-Rivard et Me Cédric Gagnon-Ducharme. Le seul bémol est apporté par Me Jean-Félix Racicot, qui estime qu’il faut plutôt initier une réflexion pour permettre de responsabiliser les individus afin qu’ils s’épanouissent et puissent jouir de leurs droits sans dépendre d’un gouvernement.
Lorsqu’on leur a demandé quelle était l’action la plus urgente à entreprendre dans une perspective d’amélioration de l’accessibilité à la justice dans le Nord-du-Québec, les candidats, encore ici, ont fait consensus sur l’importance de mettre en œuvre plusieurs recommandations qui se font facilement, ce qui correspond aussi aux demandes du Barreau : travailler avec les communautés dans le respect de leurs traditions, rapatrier les services au Nord et augmenter le financement pour régler en amont les problèmes. Pour Québec solidaire et le Parti québécois, plus particulièrement, les questions de prévention et de déjudiciarisation sont la clé d’un futur meilleur pour les communautés et celles-ci nécessitent du financement. Le Parti conservateur, quant à lui, aimerait qu’on regarde tout d’abord l’état de la situation de façon plus globale afin que les problèmes puissent éventuellement se régler en amont. Les besoins d’augmenter l’efficacité et la prévisibilité du système judiciaire par une technologie de pointe sont mis en lumière par le Parti libéral et la Coalition Avenir Québec.
La structure tarifaire de l’aide juridique
Le Barreau du Québec annonçait récemment qu’une première entente a été conclue avec le ministre de la Justice afin de mettre en œuvre les recommandations urgentes du groupe de travail indépendant sur la réforme de la structure tarifaire de l’aide juridique. La question que pose le Barreau : le prochain ministre de la Justice s’engagera-t-il à assurer les ressources financières, matérielles et humaines essentielles à la réalisation des mesures du rapport final du groupe de travail indépendant?
Le Parti libéral affirme, comme tous les autres partis sauf le Parti conservateur, que l’accès à la justice passe par le financement adéquat des mandats d’aide juridique. Plusieurs incohérences et problématiques doivent être réglées mais, selon la CAQ, 43 des recommandations du rapport intérimaire sont en voie d’être réalisées et quatorze ententes ont été signées récemment avec le Barreau du Québec. La CAQ s’engage à mettre en action l’entièreté du rapport final et d’y mettre l’argent nécessaire. Le représentant de QS affirme lui aussi que l’aide juridique est la pierre angulaire du système de justice, contrairement à son collègue du PCQ qui, à contre-courant, affirme clairement qu’il n’est pas en faveur d’un programme provincial d’aide juridique mais croit plutôt qu’il faut innover pour augmenter la prospérité des individus afin qu’ils soient en mesure de faire valoir leurs droits individuels.
On pose ensuite la question : quand le comité tripartite sera-t-il mis en place? Me Morin demande que ce comité soit permanent et s’engage au nom du PLQ à ce qu’il soit mis en place dans les 100 premiers jours d’un nouveau mandat. Tous les candidats sont donc d’accord pour que ce comité soit formé le plus rapidement possible. Me Jolin-Barrette annonce que le comité est déjà en place et que la première réunion se tiendra sous peu, ce qui respecte une demande du Barreau à cet effet. Le candidat de Québec solidaire, Me Rivard-Cliche, ajoute que le comité devra être permanent, révisé régulièrement, et qu’un de ses mandats devra être la facilitation des mandats de l’aide juridique. Le Parti Québécois veut des objectifs préétablis et fixés de concert avec les partenaires et déclare qu’il faut aussi se questionner sur les types d’actes qui devraient être couverts, dans une perspective d’accès à la justice. Le Parti conservateur, quant à lui, acquiesce à la formation du comité, mais maintient que les avocats de pratique privée aident aussi à maintenir le système à bout de bras et qu’ils contribuent à fournir gratuitement des services.
L’importance du financement de la justice
Le manque de financement adéquat de la justice risque de causer des préjudices aux citoyens et de générer de l’insécurité envers les institutions judiciaires. Le Barreau soutient que la place accordée à la justice doit être repensée et qu’on devrait accorder à celle-ci la même importance qu’à la santé et à l’éducation. S’adressant aux candidats, le Barreau demande pourquoi, selon eux, la justice est l’enfant pauvre du gouvernement et n’est pas considérée comme une priorité sociale. Ultimement, si leur parti est élu, comment leur gouvernement compte-t-il remédier à cet état de la justice?
Simon Jolin-Barrette, ministre sortant de la Justice au sein du gouvernement de la CAQ, affirme que son gouvernement a majoré le budget de la justice de 200 millions de dollars. Il faut surtout, ajoute-t-il, dépenser cet argent au bon endroit pour moderniser le système de justice. La pénurie de la main-d’œuvre est le défi auquel on doit faire face rapidement selon lui et il faut faire les efforts nécessaires pour que le citoyen puisse avoir des services juridiques efficaces. Pour le PCQ, le constat d’un sous-financement de la justice est exact, mais il est surtout important d’améliorer les conditions d’emploi pour être en mesure de garder le personnel. Au PLQ, André M. Morin affirme qu’il y a de l’argent, mais qu’il faut tout de même augmenter le Fonds Accès Justice. Guillaume Cliche-Rivard, de Québec solidaire, fait la promesse d’injecter 80 millions de plus pour, entre autres, combler la pénurie de personnel judiciaire. Cédric Gagnon-Ducharme, du PQ, souligne le fait que le système a atteint ses limites et que c’est un miracle s’il tient encore debout. Il y a définitivement une crise dans le financement justice, dit-il, et il faut prioriser la justice.
Définir les mesures pour revitaliser la justice
Dans la même ligne de pensée, le Barreau aborde avec ses interlocuteurs les mesures principales qui devraient être mises en place pour revitaliser le système de justice. Pour la CAQ, l’une des urgences est de rétablir la confiance du public dans le système juridique et pour ce faire, il faut profiter du fait que la pandémie a donné les outils pour aller vers la modernisation du système et changer certaines habitudes. On ne peut fonctionner comme avant, il faut davantage penser aux victimes et faire en sorte que le citoyen soit considéré comme important.
Le PCQ pointe pour sa part le contentieux entre le ministère de la Justice et la Cour du Québec et réclame en priorité son règlement. Tout comme le Barreau, il désire mener à bien le projet Lexius pour une efficacité maximale des tribunaux et veut mettre en place un financement adéquat pour les services administratifs de la justice.
Le PLQ veut, quant à lui, s’assurer de disposer des ressources humaines nécessaires pour éviter l’effondrement du système et continuer rapidement sa modernisation ainsi que la mise en place de tribunaux spécialisés. Il veut de plus développer une approche communautaire et un programme d’aide en santé mentale et toxicomanie.
QS croit que le système de justice ne fonctionne plus et qu’il faut le simplifier et le moderniser, en plus d’en augmenter le financement et d’embaucher davantage.
Le PQ formerait un chantier pour l’accès à la justice dans le Nord, mettrait en place rapidement une série de mesures provenant du rapport du groupe de travail indépendant sur l’aide juridique et, à courte échéance, organiserait un grand sommet national sur la justice au Québec.
Comme dernière question, les partis politiques ont eu à mettre les quatre suggestions suivantes, énoncées par le Barreau, selon l’ordre qu’ils jugent prioritaire :
- confier aux avocats des pouvoirs accrus en matière de règlement de différents;
- permettre des déductions fiscales aux particuliers, dans certains domaines de droit, pour les honoraires d’avocats;
- investir au soutien du déploiement de cliniques juridiques visant à favoriser un meilleur accès à la justice et dans lesquelles les opinions juridiques seraient données par des étudiants à des universités et de l’École du Barreau;
- octroyer du financement au soutien des communautés qui désirent se prévaloir des ententes établissant des régimes particuliers prévues à la Loi sur la protection de la jeunesse.
Pour la CAQ, les quatre mesures doivent être mises en place, mais en outre, chacune des mesures qui favorise l’accessibilité et l’efficacité pourra être financée. Il faut que le justiciable soit au centre du processus.
Le PCQ soutient que les avocats ont déjà tous les pouvoirs nécessaires pour bien faire leur travail. La quatrième mesure n’est pas non plus nécessaire, car il faut arrêter de financer les programmes dont nous sommes la cause et régler ces problématiques directement. Et enfin, peut-être serait-il bien de retirer la TVQ ou d’ajouter des déductions pour certains domaines du droit.
Le PLQ veut confier aux avocats davantage de pouvoirs, investir dans les cliniques juridiques pour désengorger le système et permettre des déductions fiscales.
Pour QS, la priorité est de reconnaître leurs compétences aux peuples autochtones. Et deuxièmement, tous les points qui touchent l’accès à la juste et l’offre de services sont à prioriser de même, évidemment, que l’élargissement du mandat d’aide juridique.
Finalement, le PQ est d’accord pour mettre de l’avant les quatre propositions, mais tout d’abord le financement pour le soutien aux communautés vulnérables et l’aide aux personnes en situation de vulnérabilité par les déductions fiscales. Quant au pouvoir accru des avocats, le PQ y est favorable pour œuvrer différemment.
En conclusion, le constat du système de justice au bord de l’éclatement est généralisé et à partir de celui-ci, tous les candidats présents au débat sont en grande partie d’accord avec les demandes du Barreau. L’accès à la justice sous toutes ses formes est la grande priorité ainsi que le financement. Les différences d’un parti à l’autre se retrouvent dans la façon d’établir les priorités. On a beaucoup parlé de combler les besoins en personnel qualifié, de pallier au manque de locaux adéquats dans le Nord, de changer la façon de faire les choses autant dans le Nord que dans les cours en général et de la nécessaire modernisation du système de justice.
La confiance des citoyens dans le système de justice est un élément qui semble préoccuper tous les candidats présents et ceux-ci y voient l’urgence d’avancer plus rapidement. Cependant, les enjeux juridiques soulevés au cours de ce débat ne font pas nécessairement partie des programmes de tous les partis politiques dans le cadre de la campagne électorale en cours.
Afin de prendre connaissance de la place de la justice dans les programmes électoraux des divers partis, cliquez ici.